Résister en temps de conflit : le témoignage d’Hekima, partenaire basé en République Démocratique du Congo, à l’Assemblée générale de la SIDI

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Hekima est intervenu dans le cadre de l’Assemblée générale de la SIDI le 11 juin afin de nous permettre de mieux comprendre le rôle des institutions de microfinance au Kivu, marqué par les conflits armés et une forte insécurité, ainsi que la manière dont Hekima parvient à poursuivre ses activités dans ce contexte.

Comme chaque année, l’Assemblée générale est l’occasion pour la SIDI d’inviter l’un de ses partenaires à témoigner. Cette année, nous avons eu le plaisir d’accueillir Laurent Daddy Yamba, Directeur général de l’institution de microfinance (IMF) Hekima, partenaire de la SIDI dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). 

Un partenariat entre Hekima et la SIDI basé sur la confiance  

Les premiers contacts entre Hekima et la SIDI remontent à 2013, et le partenariat a officiellement débuté en 2021. Il repose sur une grande confiance. En termes de financement, la SIDI et FEFISOL (Fonds européen de financement solidaire pour l’Afrique)financent Hekima à hauteur d’1,5 millions de dollars depuis 2021. Parallèlement, et à la demande d’Hekima, la SIDI a intégré son Conseil d’administration, contribuant au débat sur son développement stratégique et maîtrisé : croissance du portefeuille, digitalisation, expansion dans une zone à haut risque.  

Hekima et la situation au Kivu 

Laurent D. Yamba nous a expliqué comment Hekima continue de travailler dans un contexte difficile : depuis janvier 2025, l’offensive menée par le M23, groupe rebelle actif au Kivu soutenu par les soldats rwandais, a entraîné des exactions, déplacement de populations, pertes économiques et une insécurité généralisée ce qui fragilise les activités de l’IMF (voir notre article sur la prise Goma par le M23 et l’impact sur nos partenaires et la population). Le 27 juin, un accord de paix a été signé entre la RDC et le Rwanda mais la situation reste incertaine.  

Fondée en 2007, Hekima est une IMF dont le siège est à Goma et qui est implantée via trois autres agences à Bukavu, Kalemie et Lubumbsahi. Elle compte 8 119 emprunteurs actifs pour un portefeuille de crédits de 9,7 millions de dollars à la fin du premier trimestre 2025. L’IMF s’adresse principalement aux femmes entrepreneuses (78 % de sa clientèle), notamment à travers des crédits de groupe (inspirés des tontines locales) principalement en milieu urbain, en raison des risques liés au secteur agricole informel.  

Depuis janvier 2025, l’argent liquide se fait rare, les IMF deviennent donc des structures stratégiques, mais aussi particulièrement exposées, ce qui met en danger les activités et l’équipe d’Hekima. Entre les violences contre les clients, le pillage des activités des emprunteurs, le ralentissement économique et les difficultés logistiques, Hekima, comme toutes les IMF de la région, a dû réduire ses opérations.  

Laurent Daddy Yamba est actuellement à Kinshasa pour des raisons de sécurité. Les échanges avec les clients sont rendus difficiles, les rééchelonnements de crédits aussi. Si certaines IMF tiennent encore, beaucoup de structures mutualistes “ne tiennent plus que de nom. Elles sont mortes.”  

« Les institutions de microfinance agonisent et ont besoin de soutien – et elles en auront encore plus besoin demain, lorsque la crise sera passée, car il faudra relancer les activités. » 

Les échanges avec les clients sont rendus difficiles, les rééchelonnements de crédits aussi. Si certaines IMF tiennent encore, beaucoup de structures mutualistes “ne tiennent plus que de nom. Elles sont mortes.” 

Maintenir l’activité malgré le conflit 

Malgré tout, Hekima continue de fonctionner et de servir ses clients en s’adaptant constamment. Des points de repli sont organisés pour la collecte et la distribution de fonds, parfois dans des hôtels. L’équipe, bien que dispersée, poursuit ses missions en télétravail et organise des rendez-vous aux horaires les plus sûrs. Tous gardent espoir et restent engagés dans leur mission malgré la guerre civile. 

Ce maintien de l’activité a renforcé la confiance des clients envers Hekima. A Goma, de mars à mai 2025, l’IMF a ainsi pu financer 476 crédits pour un total de 246 000 dollars, sous la forme de petits prêts d’environ 500 dollars, dans une région où la monnaie liquide est rare et cruciale pour l’accès aux soins ou à l’alimentation. Dans cette période complexe, Laurent Daddy Yamba explique comment Hekima privilégie les prêts aux groupes car l’impact est plus important. 

Quelles solutions pour demain ? 

Laurent Daddy Yamba mène également un plaidoyer auprès des institutions internationales et nationales – FMI, Banque mondiale, Banque centrale du Congo – pour la création d’un fonds de relance pour l’après crise. En effet aucune IMF ne pourra faire face seule à la reprise d’activité. Ce fonds de relance comporterait trois volets : des emprunts à taux 0, des fonds de subventions – soit d’équipements, soit du portefeuille –  et des garanties financières rapidement utilisables. Pour Laurent Daddy Yamba, un tel fonds de relance est essentiel pour redémarrer les opérations dès que les conditions sécuritaires permettront le retour des clients en grand nombre. 

Un témoignage porteur de sens 

Inviter Hekima et son Directeur général Laurent Daddy Yamba à notre Assemblée générale est un honneur pour la SIDI, et également une manière forte d’exprimer notre solidarité avec notre partenaire, les populations congolaises et les acteurs de la microfinance au Kivu.  Aujourd’hui, l’enjeu est clair : se tenir aux côtés d’Hekima et préparer l’après-conflit. 

Au Liban, la fragile renaissance d’Al Majmoua et du microcrédit, malgré la crise financière et la guerre

Devant l échoppe

Retour de mission : chaque trimestre, un membre de l’équipe opérationnelle de la SIDI nous partage une mission réalisée auprès de partenaires et de leurs bénéficiaires. Pour sa première mission au Liban, Jean-Baptiste Cousin raconte sa découverte de notre partenaire Al Majmoua, dans un pays encore sous le choc de la crise financière et des récentes attaques israéliennes.

J’ai repris le suivi du partenariat SIDI pour le Liban depuis janvier 2025. Une première mission prévue en février, a dû être annulée au dernier moment en raison des trop nombreux bombardements Israéliens sur Beyrouth, en dépit de la trêve signée. Au mois de mai, je peux enfin partir, avec ma collègue Ariane Bevierre et une délégation de l’ADIE. Lors de cette mission, je découvre la résilience de Al Majmoua, première institution de microfinance au Liban, un partenaire que je connais peu, mais qui est tout à fait dans le ciblage de la SIDI.

Au Liban, les banques ne fonctionnent plus

A mon arrivée, je découvre un pays où il n’y a plus de services bancaires, ni d’activités financières. En 2020, à la suite d’une dévaluation massive, les banques ont confisqué les avoirs des épargnants (90 milliards de dollars !).  L’élite du pays a sorti son argent à temps. Mais le reste de la population s’est retrouvé avec ses comptes bloqués et l’impossibilité de retirer de l’argent, sauf au compte-goutte.  Ces derniers mois, il était encore interdit de retirer plus de 250 dollars par mois. A ce rythme-là, il faudrait 3 000 ans pour que Al Majmoua récupère les 9 millions de dollars séquestrés sur ses comptes. Résultat, plus personne ne dépose d’argent dans les banques, qui n’accordent aucun prêt.

Alors que les revenus moyens se sont effondrés et que 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté, la demande de crédit est énorme. Les seuls recours possibles viennent de l’argent de la diaspora ou de la microfinance. Le problème ? Plus aucun bailleur ne veut aller au Liban à cause des pertes essuyées pendant la crise.

La crise financière libanaise a failli emporter totalement notre partenaire Al Majmoua

Avant la crise, Al Majmoua était une institution financière des plus performantes, qui gérait plus de 100 000 prêts. Au moment de la crise, elle se retrouve au bord de la faillite complète. Avec la dévaluation de la livre libanaise, son portefeuille a perdu 99% de sa valeur, vu le taux de change imposé. L’association perd tout son patrimoine financier dans la tourmente :  50 millions de dollars !

La faillite de l’association est évitée grâce à l’apurement de ses dettes par les bailleurs, qui vont assumer des pertes de 50 millions de dollars, dont un million de dollars pour la SIDI.

Des prêts remboursés rubis sur l’ongle

Après avoir failli disparaître, Al Majmoua continue aujourd’hui son activité prudemment. Avec le peu d’argent dont elle dispose, elle délivre des prêts modestes de l’ordre de 500 dollars en moyenne. Elle peut ainsi toucher plus de monde. En avril 2025, elle compte à nouveau 23 000 prêts en cours. Pour 85% d’entre eux, c’est pour soutenir une activité économique.

A Beyrouth, je visite une vendeuse de poulet palestinienne. Le plafond de sa boutique s’est effondré pendant les bombardements israéliens. Le prêt va lui permettre de réparer son plafond afin de poursuivre son activité économique, et rembourser peu à peu ses échéances.

Dans ce contexte de crise financière et de guerre que vit le Liban, je suis impressionné par le taux de recouvrement des prêts d’Al Majmoua qui atteint 98%. Y compris au Sud Liban et dans la plaine de la Bekaa ravagés par les bombardements.

Chez les bénéficiaires de prêts rencontrés, je ressens un fort sentiment d’identification à Al Majmoua et une reconnaissance. Pour eux rien n’est plus important de payer, car Al Majmoua est la seule entité qui peut leur prêter pour leurs projets. Ils espèrent que l’association pourra continuer de les aider à se relever.

Une vision globale de la lutte contre la pauvreté

Moi, je me suis totalement retrouvé dans l’approche d’Al Majmoua.

Pour Al Majmoua, le microcrédit n’est pas une fin en soi, mais d’abord un moyen de lutter contre la pauvreté. Il s’agit d’une association qui mène à la fois des activités financières et non financières. Pour accompagner ses membres, elle agit sur différents leviers : le financement, mais aussi l’éducation, et l’organisation. Elle propose par exemple un programme d’éducation financière : comment gérer un prêt, un budget, un prévisionnel. Toute une culture entrepreneuriale de base, extrêmement importante pour sortir de la pauvreté.

Cette posture n’est pas si fréquente dans le monde de la microfinance. Mais elle correspond totalement à la SIDI qui propose à la fois des services financiers et de l’accompagnement.

Pour moi, cette approche globale est la plus efficace pour lutter contre la pauvreté. Car la pauvreté a de nombreuses facettes et le crédit, seul, ne résout rien.

Accompagner Al Majmoua dans sa renaissance

Ce n’est pas facile d’envisager de prêter de nouveau au Liban. La SIDI (ou plutôt le FID, le fonds de garantie abondé par des congrégations, le CCFD-Terre Solidaire et la SIDI elle-même) a dû couvrir des pertes importantes. Mais cela me parait être le bon moment pour accompagner Al Majmoua dans son redéploiement, alors que si peu d’organisations la soutiennent. C’est une institution qui me semble détenir le potentiel et les qualités pour se redresser.

Dans un contexte où la pauvreté a explosé, la demande en microcrédit est très importante. Or jusqu’à maintenant personne ne veut retourner au Liban. Pour la SIDI qui « souhaite aller là où les autres ne vont pas », cela ne prendrait-il pas tout son sens de s’engager à nouveau ?

C’est notre job, en tant que chargé de partenariats, de maintenir cet équilibre entre préserver les ressources des actionnaires de la SIDI et répondre à la mission qu’ils nous confient.

 

Propos recueillis par Anne-Isabelle Barthélémy

Crédits photo : Philippe Lissac – agence Godong /SIDI; sauf photo couverture ADIE

SICSA, un acteur clé de la finance inclusive en Amérique Centrale

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Depuis 2015, la SIDI soutient SICSA, un acteur engagé aux côtés des institutions de microfinance en Amérique Centrale

SICSA est une institution de refinancement en microfinance enregistrée au Panama mais dont les bureaux sont basés au Honduras. Créée en 2006 à l’initiative du réseau centroaméricain de microfinance REDCAMIF, elle joue un rôle clé dans le soutien du secteur de la microfinance en Amérique Centrale. Cette région, marquée par de fortes inégalités et une instabilité politique chronique, reste très vulnérable au monde face aux chocs économiques et climatiques. Le rôle de la microfinance y est essentiel pour permettre aux populations exclues des circuits bancaires classiques de développer une activité et de renforcer leur résilience. 

Aujourd’hui active dans six pays, SICSA propose une gamme diversifiée de produits et services financiers à une trentaine de petites institutions de microfinance (IMF) de la région. Sa valeur ajoutée réside notamment dans sa capacité à servir d’intermédiaire pour ces IMF, qui ne sont généralement pas d’une taille suffisante pour attirer des fonds d’investisseurs internationaux. 

En soutenant financièrement ces IMF, SICSA touche les populations les plus vulnérables, contribuant ainsi à la réduction de la pauvreté à travers le levier de l’inclusion financière. Son action se concentre en particulier sur les femmes, les jeunes et les communautés rurales. L’objectif est d’encourager leur autonomisation le long-terme en finançant des activités génératrices de revenus comme le commerce et l’agriculture. 

SICSA attache une importance particulière à la qualité de son offre et à la satisfaction des IMF partenaires, évaluée régulièrement via des enquêtes. Elle s’assure également que ces institutions partagent ses valeurs et ambitions sociales. Signataire de la Déclaration Conjointe sur la protection des clients, elle promeut activement les meilleures pratiques en la matière. En parallèle, SICSA intègre une dimension environnementale dans sa mission en accompagnant ses clients dans le développement de produits financiers verts.  

Un partenariat stratégique et durable 

Le partenariat entre SICSA et la SIDI a débuté en 2015 et s’est renforcé au fil des ans grâce à la stabilité et à l’engagement social de SICSA. En 2019, la SIDI est entrée au capital de l’institution, marquant ainsi une volonté d’inscrire cette collaboration dans la durée. Depuis, un consultant SIDI siège au conseil d’administration de SICSA et participe aux décisions stratégiques, notamment sur les enjeux sociaux et environnementaux. 

En 2022, sous l’impulsion de la SIDI, le comité de direction de SICSA a bénéficié d’une session de sensibilisation à la performance sociale et environnementale. Cet atelier a mis en lumière les bonnes pratiques déjà existantes au sein de l’institution et a souligné la nécessité de les formaliser pour mieux valoriser leur impact. 

À la suite de la planification stratégique de SICSA en 2023, la SIDI a proposé un accompagnement dédié pour structurer et mettre en avant l’engagement social et environnemental de l’organisation. Pendant un an, le pôle PSE de la SIDI a collaboré avec l’équipe de SICSA afin d’établir un cadre formel comprenant des objectifs sociaux et des indicateurs de suivi. L’ensemble de l’équipe de SICSA a été impliquée dans ce projet, qui a généré des échanges enrichissants sur la mission, les pratiques et les ambitions futures de l’organisation. 

Une fois les objectifs et indicateurs définis, un travail approfondi a été mené sur les outils de collecte et de consolidation des données pour assurer un suivi efficace de la performance sociale et environnementale sur le long terme. Après un premier test de ces nouveaux outils, et une collecte des données menée avec succès par l’équipe de Sicsa, le pôle PSE a continué son accompagnement en soutenant l’organisation dans l’élaboration de leur premier bilan social. 

Un engagement renforcé pour l’avenir 

Cette dynamique a débouché sur  un résultat concret : un premier bilan social qui illustre clairement le positionnement et l’impact social de SICSA en Amérique Centrale. Plus qu’un simple exercice de formalisation, ce travail a permis d’ancrer son engagement social et environnemental comme un axe stratégique central de son activité. 

Nous sommes fiers de soutenir SICSA dans cette démarche et convaincus que cet effort de structuration contribuera à renforcer son impact sur le terrain. Un grand merci à toute l’équipe de SICSA pour son engagement et sa vision, nous avons hâte de poursuivre cette belle collaboration ! 

Vanille de Madagascar, rencontre au bout du monde avec un nouveau partenaire

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Retour de mission : Gabrielle Orliange nous raconte son périple hors du commun pour remonter la route de la vanille et nouer un nouveau partenariat pour la SIDI.

Avant de sublimer nos glaces, cannelés et crèmes anglaises, saviez-vous que la vanille parcourait une route semée d’embûches ? Pour la SIDI, Gabrielle Orliange a remonté le chemin de la vanille à la rencontre des coopératives, depuis Tananarive, capitale de Madagascar, jusqu’à la jungle des environs de Mananara. Nous vous proposons de la suivre, notamment le jour où elle rejoint une zone particulièrement isolée, et découvrir ainsi également une nouvelle facette du métier de chargé de partenariats à la SIDI.

Je réside à Madagascar où je suis chargée de partenariats à mi-temps pour la SIDI. Après avoir identifié un nouveau partenaire possible dans le secteur agricole, j’avais besoin d’aller le rencontrer sur le terrain. MVE (Madagascar Vanilla Export) est une PME familiale qui transforme la vanille pour pouvoir l’exporter. Elle achète la vanille à deux coopératives de producteurs et productrices, et les aide aussi à se structurer.

Après quatre mois d’échanges par mail, j’ai organisé une mission de sept jours à leur rencontre afin de présenter un rapport détaillé au Comité de financement de la SIDI dans la perspective d’un prêt.

MVE est basée à Tamatave, à environ 400 kilomètres de Tananarive, la capitale de Madagascar où je vis. Parcourir cette distance m’a pris une journée entière de taxi brousse. Puis j’ai continué en 4X4 encore deux journées sur des chemins cahoteux, à la rencontre des producteurs des zones littorales.

Rencontre sur les hauts plateaux

En ce quatrième jour, je dois rejoindre un village près de Mananara, situé sur des “hauts plateaux”1, dans une forêt très dense. C’est ici, dans cette zone particulièrement reculée, que pousse la vanille de meilleure qualité.

La piste est trop étroite pour un 4X4, et nous commençons par deux heures de moto dans la boue.  Lorsque j’arrive au village, une quinzaine de producteurs de la coopérative Label Vavasaha, qui en compte environ 500, sont réunis dans la salle commune du village. Je sens qu’ils ont surtout très envie de me montrer leurs plantations. Pour cela il faut encore s’enfoncer plus dans la jungle. Nous commençons par emprunter une pirogue, avant de finir par ouvrir le chemin à la machette.

Une fois arrivés, ils sont très fiers de me montrer leurs parcelles, là où se cultivent la plus belle vanille de Madagascar !

Je vois comme des gros haricots verts qui pendent des lianes enroulées autour des arbres. La vanille est une culture très exigeante, qui demande un soin constant. Originaire du Mexique, il faut la bouturer et féconder à la main les fleurs qui donneront la vanille.

Au bout du monde

Je suis frappée par l’isolement de ces producteurs. On a l’impression d’être au bout du monde. Madagascar est déjà une ile solitaire. L’immensité de son territoire ­et le manque d’accessibilité de la zone accroissent encore cette sensation.

D’une certaine façon, cet isolement, qui les protège des vols, arrange les producteurs. Mais en arrivant après quatre jours de transports acrobatiques, je comprends le coût logistique de la culture de la vanille. J’ai encore plus de respect pour MVE, obligé de faire avec cette réalité et son lot d’imprévus : les voitures en panne, les problèmes d’approvisionnement en carburant. Ce n’est pas évident d’aller chercher la vanille aussi loin.

La deuxième chose qui me marque, c’est de voir comment la vanille, par sa valeur, a permis de générer de la richesse. Même si ces zones sont très enclavées, je vois des motos un peu partout, des antennes paraboliques, des 4X4. Des biens très rares sur les plateaux agricoles proches de Tananarive, une région moins enclavée, mais plus pauvre, essentiellement productrice de riz.

Ici, tout le monde fait de la vanille, de quelques gousses à plusieurs kilos. Cette manne profite à tous, même si certains en profitent plus que d’autres.

Pour les producteurs et productrices, la différence vient de la manière d’écouler leur production. Ceux qui sont seuls ont plus de difficultés à vendre leur marchandise à bon prix. Mais ceux qui arrivent à se mettre en coopérative parviennent à négocier et vendre leur production à un meilleur tarif. MVE est soucieuse d’acheter aux producteurs des coopératives la vanille à un prix plus élevé que les prix du marché.

Visite du site de transformation

Sur la route du retour, je passe voir le site de la transformation finale, à Tamatave. L’entrepôt de MVE est situé dans un lieu discret, sain et sécurisé, avec des gardes.

Ici la vanille est séchée au soleil pendant plusieurs semaines. Ensuite les gousses sont triées avant d’être affinées dans des caissons pour développer leur arôme. Après plusieurs mois, elles sont contrôlées et classées par qualité avant d’être conditionnées pour l’exportation.

Dernière étape, la vanille est envoyée à Tananarive avant d’être expédiée en Europe. Les gousses, fragiles, voyagent par avion. La poudre, plus résistante, peut voyager en bateau. Il ne faut pas moins de 90 jours en moyenne pour rejoindre la France depuis Tananarive.

Une mission hors du commun

Cette mission aura été une véritable découverte pour moi qui vit pourtant à Madagascar. Jamais je ne me suis enfoncée aussi loin dans le pays. Les autres partenaires avec qui nous travaillons sur l’île dans le secteur de la microfinance sont beaucoup plus accessibles. Cela nous permet de trouver un équilibre. Si le partenariat avec MVE est un plus risqué financièrement pour la SIDI, il répond à sa vocation de soutenir le secteur agricole et de solidifier ce genre d’entreprises.

Comme c’est une structure qui n’a jamais bénéficié d’investissements, le prêt de la SIDI représente une vraie valeur ajoutée pour elle. C’est ce que nous appelons un « partenaire à impact », dont j’ai pu mesurer sur place l’engagement social et environnemental.

Le prêt a été décaissé à l’été 2024. Grâce à lui, la vanille a pu être achetée aux producteurs. Comme chaque année à cette époque, MVE est en attente de l’agrément d’exportation aux acheteur européens. La vente de la vanille permettra à MVE de rembourser le prêt de la Sidi. S’ils arrivent à rembourser et à tenir les délais, le prêt pourra être renouvelé en 2025 pour leur permettre d’acheter la vanille cet été.

 

Propos recueillis par Anne-Isabelle Barthélémy

 

1. Ce sont des hauts plateaux mais qui n’ont rien à voir avec la région des hauts plateaux malagasy qui culminent à 1500 m

La prise de Goma par le M23 : un impact direct sur les populations et l’activité des partenaires de la SIDI au Kivu

Hekima RDC photo Philippe Lissac

Depuis plusieurs semaines, la région du Kivu, en République démocratique du Congo, traverse une nouvelle crise majeure. La prise de la ville de Goma par le groupe armé M23, soutenu par les soldats rwandais, plonge la population dans une situation dramatique : au moins 2900 personnes tuées selon les Nations Unies le 07 février 2025. Des déplacements massifs, des pertes économiques et une insécurité généralisée rythment le quotidien de milliers de familles.

Une région marquée par une instabilité chronique

Région frontalière de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi, le Kivu est enlisé depuis plus de vingt ans dans une situation de conflit quasi permanente, qui entretient une instabilité chronique entravant le développement socio-économique du territoire et de ses habitants. Cette situation particulièrement complexe du Kivu, en a fait une région prioritaire pour la SIDI, qui compte sur place sept partenaires couvrant tous ses champs d’intervention : l’inclusion financière (institutions de microfinance comme Paidek, Guilgal, Hekima, union de coopératives de crédit comme COOCEC, promoteurs de mutuelles de solidarité), les chaines de valeur agricole (les coopératives de café bio et commerce équitable Muungano et CPNCK) et la lutte contre les changements climatiques (à travers le partenariat innovant avec la société Altech, fournisseur d’énergie renouvelable) .

Des partenaires SIDI directement impactés

La prise de Goma, capitale du Nord Kivu a des conséquences directes sur nos partenaires locaux, en particulier Hekima, une institution de microfinance (IMF) que la SIDI accompagne depuis plusieurs années et dont le siège est à Goma. Cette IMF joue un rôle essentiel : elle accorde des crédits de groupe à des femmes entrepreneuses. Hekima touche près de 15000 bénéficiaires dont 74% de femmes, qui grâce à des financements adaptés peuvent développer leurs activités et renforcer leur résilience économique. Mais aujourd’hui, les opérations sont à l’arrêt, et les équipes doivent s’adapter pour se protéger et protéger les bénéficiaires tout en assurant un minimum d’activité. Du côté des coopératives de café partenaires de la SIDI, la situation est également dramatique alors que la saison a démarré fin janvier. Muungano, la coopérative de café basée à Kiniezire n’a pas pu démarrer sa collecte de cerises de café auprès des 4245 producteurs membres en raison des combats. De son côté, la coopérative CPNCK, basée sur l’île d’Idjwi sur le lac Kivu, n’a plus accès aux ressources financières bloquées à Goma, et néanmoins nécessaires pour payer les 2300 producteurs

La SIDI, mobilisée aux côtés de ses partenaires

Au-delà de l’impact sur notre mission d’investisseur solidaire, ce sont avant tout le quotidien des populations qui est bouleversé. Dans ces périodes de crise, les besoins humanitaires et économiques sont immenses. À la SIDI, nous restons mobilisés pour accompagner nos partenaires du Kivu autant que possible, en espérant un retour rapide à la stabilité. Et nous saluons le courage des équipes locales et des populations qui continuent, malgré tout, à s’engager pour maintenir une activité économique au Kivu.

 

crédit photo : Philippe Lissac – agence Godong / SIDI

Bienvenue à Emmanuel Gagnerot, nouveau directeur des opérations et des partenariats de la SIDI

Emmanuel gagnerot ouganda

Le nouveau directeur des opérations et des partenariats répond à nos questions

Pouvez-vous vous présenter et partager avec nous ce qui vous a conduit à rejoindre la SIDI ?

Mon parcours est marqué par une autre économie.

J’ai choisi de travailler dans le secteur de l’Économie sociale et solidaire ce qui m’a permis de renouer – sans vraiment le savoir à l’époque (!) – avec un engagement entrepreneurial familial marqué par la Résistance. Après quelques années passées au service de la lutte contre le racisme et l’égalité des chances entre hommes et femmes, notamment au niveau européen, j’ai plongé dans la technicité – financière – de l’accompagnement de coopératives, d’entreprises d’insertion, de fondations, d’associations… d’associations… au sein de France Active[1], sur le terrain. J’ai ensuite rejoint le Crédit Coopératif au sein duquel j’ai dirigé le département Économie sociale et solidaire.

Je crois à la conjugaison de l’action, de l’expertise technique et de l’éthique pour agir très concrètement en faveur d’une autre économie… Au service de l’humain, et non l’inverse. La rencontre avec la SIDI était pour moi une évidence : les équipes, les bénévoles et la gouvernance portent ce même engagement, avec une conviction brûlante d’actualité : cette autre économie est synonyme de paix et de développement à l’international.

Quels défis majeurs voyez-vous pour la SIDI dans les régions où elle intervient ?

Ils sont si nombreux, si pluriels… Trois exemples fils rouge illustrent cette diversité :

L’aggravation de certains conflits armés ces deux dernières années risque de réduire à néant l’activité de certains de nos partenaires, comme en Palestine avec cet acteur historique de la microfinance ACAD ou encore, dans le domaine agricole, avec Fair Trade Tourism limited au Liban.

Sur le front de la crise climatique ensuite, ses effets se répercutent sur certaines filières agricoles avec une envolée historique des prix (cacao, café) et mettent sous tension les modèles économiques des organisations de producteurs africains ou sud-américains que nous soutenons.

Enfin, l’incertitude monétaire pèse sur un grand nombre de nos partenaires, citons les États du Sahel (Mali, Niger, Burkina) qui souhaitent sortir de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) au profit d’un scénario qui reste à écrire[2]. Ou, sur un autre continent, la Bolivie dont le chaos financier et la raréfaction des dollars pèse lourdement sur le coût de nos interventions financières.

L’équipe « opérationnelle » s’est ainsi organisée en 2024 pour faire face à la complexité de ces défis : une présence sur le terrain avec des équipes basées à Lomé (Togo), à Bujumbura (Burundi), à Kampala (Ouganda) et à Antananarivo (Madagascar) ; Une réorganisation de l’équipe géographique en trois pôles (Amérique Latine, Afrique de l’Ouest et du Nord, Afrique de l’Est et australe) afin d’ assurer un suivi au plus près de nos partenaires ; ceci avec l’appui de deux pôles transversaux (Accompagnement, Performance Sociale et Environnementale).

Je constate avec admiration que l’expertise et l’engagement des dix-huit professionnels de l’équipe opérationnelle demeurent de très haut niveau. Et le professionnalisme, au long cours, de l’ensemble de l’équipe de la SIDI comme l’investissement des consultants bénévoles ainsi que des actionnaires solidaires permettent d’être confiant bien que les défis soient de taille.

Quels sont vos objectifs prioritaires en tant que Directeur des opérations et des partenariats ?

Ma priorité est de stabiliser cette nouvelle organisation tout en lui donnant, avec l’ensemble de l’équipe de la SIDI, toute son efficacité.

Deuxième objectif clé : trouver le bon équilibre entre le développement et la consolidation de notre portefeuille composé maintenant de 130 partenaires pour 50 millions d’encours à travers une trentaine de pays. C’est ce bon équilibre qui permet à la SIDI d’être pleinement utile.

Autre objectif évident compte tenu de notre métier : veiller à la sécurité des équipes lors des missions dans des territoires risqués.

Selon vous, quelle est la place des citoyens dans le succès des investissements solidaires portés par la SIDI ?

Grâce à son modèle économique unique porté par des actionnaires citoyens, la SIDI dispose d’une liberté rare pour agir en faveur du développement économique dans des zones où peu d’acteurs étatiques ou de la société civile interviennent (Mozambique, Haïti, Bolivie, Guinée…).

Soyons clairs : il ne s’agit pas d’intervenir là où personne n’intervient pour se distinguer. Il s’agit d’actionner, grâce à des outils financiers, les leviers d’un développement économique ouvrant des perspectives d’autonomie financière et de démocratisation de l’économie.

Sans les actionnaires citoyens ; que nous appelons de nos vœux à être des ambassadeurs de leurs précieux soutien à la SIDI, nous ne pourrions pas intervenir là où nous intervenons. Il est aujourd’hui très important d’élargir ce cercle auprès de la relève de ce « cosmopolitisme en acte » : ce sont leurs enfants et leurs petits-enfants qui auront la responsabilité de soutenir un monde toujours plus ouvert et toujours plus solidaire.

Vous avez déjà pu effectuer deux missions en Guinée Conakry et en Ouganda, qu’est-ce qui vous a le plus marqué à ces occasions ?

Avant tout : l’énergie des partenaires de la SIDI sur le terrain ! C’est remarquable…

Constater les effets très concrets des financements et des accompagnements de la SIDI pour des emprunteurs pauvres ou des petits agriculteurs a aussi renforcé une conviction chez moi : celle d’œuvrer au service d’une mission d’avenir plus que jamais décisive.

[1] Opérateur de finance solidaire spécialisé sur le développement économique.

[2] LA SIDI coordonne actuellement une étude à paraître au 1er semestre 2025 sur les impacts de cette sortie afin d’anticiper le mieux possible ses conséquences pour les partenaires soutenus dans cette région.

Voyage SIDI en Tunisie : des participantes témoignent

Visite SIDI Beni Ghreb

Raymonde Richard et Françoise Michaud, toutes deux administratrices d’ESD (l’association des actionnaires individuels de la SIDI) nous livrent leur témoignage du séjour immersif en Tunisie.

En Tunisie, nous avons participé à une rencontre d’actionnaires de la SIDI venus observer comment leur argent est au service des hommes et mettre les idées généreuses de la SIDI, « soutenir les plus pauvres », en regard de la réalité quotidienne complexe.

Ainsi, la SIDI a permis la rencontre d’une très grande diversité de « partenaires ».

1- En premier lieu une structure, Enda Interarabe, soutenue et accompagnée hier, n’a plus vraiment besoin aujourd’hui de la SIDI, mais continue d’échanger avec elle sur ses pratiques, par exemple lorsqu’elle favorise une formation pour affiner le projet personnel de chacun de ses cadres ou qu’elle pallie l’insuffisance des structures scolaires de la Tunisie, étant ainsi partie prenante du bien commun de ce pays par la diffusion de bonnes pratiques.

Rencontrer l’équipe d’Enda Interarabe fait du bien, et en particulier sa fondatrice madame Essma Ben Hamida, personne rayonnante, qui maintient la philosophie du service des bénéficiaires et démontre que l’argent au service de la vie, c’est réel.

2- Les bénéficiaires finaux, accompagnés par Enda Tamweel, institution de microfinance partenaire de la SIDI, œuvrent dans tous les secteurs de la vie économique. Avec des prêts à très court terme, ils créent leur entreprise.

Telle femme a pu, après la Covid, transformer son entreprise, conserver ses locaux et devenir distributrice de produits de bien-être à base d’aloe vera : « Enda Tamweel m’a réellement suivie et facilité le crédit au fur et à mesure de mes besoins ».  Elle en est plus que satisfaite, elle est reconnaissante.
Nous avons rencontré tant d’autres éleveurs de brebis, tisseurs, créateurs de bijoux ou de robes, ou encore la gérante d’un magasin d’informatique, qui en est à son troisième prêt. Elle a créé un emploi, elle se rétribue et prend en charge ses parents. Elle était très fière de nous montrer la nouvelle machine qui facilite son activité informatique, alors qu’elle s’est formée « sur le tas » …
Ces bénéficiaires différents par l’âge, les besoins, l’activité, ont pu s’installer, se développer avec très peu de capitaux, ajoutés à leur courage et à leurs idées. L’exemplarité de l’action de la SIDI séduit.

3- Nous avons découvert, dans le sud de la Tunisie, des entreprises plus importantes. Ces entreprises agricoles, qui commercialisent et exportent des dattes, prennent des risques au service des paysans du désert.

Avec le partenaire Beni Ghreb, l’accueil par l’entrepreneur offre une belle surprise : « Grâce à vous, nous sommes encore là ! »  Ce qui signifie, l’entreprise, très familiale, continue de marcher et permet à des hommes et des femmes de vivre de leur travail.

Cent vingt-trois paysans et leur famille vivent dans le milieu difficile du désert alors que la sécheresse continue de faire des ravages…

Dans cette agriculture d’oasis, un accompagnement attentif est nécessaire pour résoudre chaque problème nouveau, qu’il s’agisse de la sécheresse, avec son corollaire crucial de l’alimentation en eau, de la Covid, des nuisances par les insectes, ou de passer en bio plus cher que la chimie. Dans toutes ses étapes, la SIDI n’a pas lâché l’entreprise, jouant une carte de solidarité telle que l’endettement a été transformé en prise de participation au capital de l’entreprise. Ainsi, des dattes de grande qualité de la variété Deglet Nour sont produites et exportées.

Le partenariat avec les paysans permet de transformer le modèle d’irrigation et d’ajouter au pied des palmiers des cultures arbustives, un peu de maraichage et d’élevage, ce qui augmente leur revenu par les dattes.

L’emploi est maintenu pour les hommes qui grimpent dans les arbres plusieurs fois chaque année (pollinisation manuelle, nettoyage, protection contre les nuisibles et récolte) et pour les femmes qui trient, classent, traitent et emballent les dattes…

Ensuite avec le partenaire South Organic, une autre entreprise de commercialisation de dattes bio, c’est la découverte d’une exploitation encore plus technique avec la présence de jeunes femmes ingénieurs, qui permettent une gestion scientifique de l’eau, l’absence d’engrais chimique dans ce verger pilote où tous les producteurs de la région peuvent venir apprendre ces techniques. Là encore de nombreuses personnes sont employées à la production agricole puis au traitement en vue de l’expédition des dattes, travaillant dans l’entreprise souvent depuis plusieurs années et paraissant fières de leur travail.

En conclusion, la Sidi est au service des humains, de l’économie et de la terre. Ici, on préserve l’avenir, avec ceux qui se mettent debout en élevant des moutons, en cousant des robes, en développant l’informatique ou encore en cultivant des dattes. On fait vivre l’espérance…
Et si le mot actionnaire est un mot qui fâche, soyons plutôt fières d’être actionnaire de la SIDI qui met l’argent au service des hommes.

Si d’aventure l’Évangile a du sens pour vous, nous avons trouvé qu’avec la SIDI on actualise la parabole des talents. De l’argent prêté, remboursé et prêté à nouveau…

Raymonde Richard et Françoise Michaud

Membres du conseil d’administration d’ESD, Epargne Solidarité Développement (l’association des actionnaires individuels de la SIDI)

 

Vahatra, un nouvel élan pour l’inclusion financière à Madagascar

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Etape cruciale dans notre partenariat stratégique initié en 2015 pour lutter contre la pauvreté rurale

Depuis cinq ans, la SIDI accompagne l’institution de microfinance (IMF) VahatraRacines en malgache – dans sa transformation institutionnelle. Cette année marque une étape décisive : son passage d’une ONG de microcrédit à une société anonyme (SA) réglementée par la commission bancaire de Madagascar. Ce changement, fruit de plusieurs années de préparation, permet à Vahatra de consolider son modèle et de renforcer ses capacités pour mieux servir ses 20 000 clients. Ces bénéficiaires, majoritairement issus des zones rurales entre Tananarive, Antsirabé et Ampefy, vivent souvent sous le seuil d’extrême pauvreté, dans un pays où 80 % de la population subsiste avec moins de 1,90 USD par jour et où la vulnérabilité face au changement climatique est une des plus fortes au monde.

Pour marquer cette transition, Joan Penche, responsable Afrique de l’Est et Australe de la SIDI, et Gabrielle Orliange, chargée de partenariats pour Madagascar, ont effectué une mission sur place. Ils ont échangé avec les équipes de Vahatra, visité ses agences rurales et rencontré une dizaine de clients pour mieux comprendre leur réalité et les services fournis par l’institution.

L’institutionnalisation : un levier pour l’impact social et financier

L’institutionnalisation de Vahatra représente bien plus qu’un changement administratif. Ce processus a impliqué une transformation complète : mise à jour des systèmes d’information, refonte des processus, préparation d’un dossier d’agrément auprès de la commission bancaire, mise en place d’une nouvelle gouvernance. La SIDI a accompagné cette évolution en apportant un soutien technique d’une part pour le processus légal d’obtention de l’agrément ainsi que la migration vers un nouveau système d’information, et stratégique d’autre part , notamment par la participation active de la chargée de partenariats au comité de pilotage de cette transition.

Pour pérenniser ce partenariat, la SIDI devient actionnaire de la société nouvellement créée, à hauteur de 23% (130 000 EUR) et obtient ainsi deux postes d’administrateur. Elle continue également à soutenir Vahatra via une garantie permettant à l’institution de contracter un prêt auprès d’une banque locale. Ce double engagement reflète l’importance stratégique de cette institution pour le développement rural malgache.

Une vision holistique au service des populations vulnérables

Si la SIDI met autant de moyens au service de la transformation de Vahatra, c’est bien parce que le partenariat avec cette petite IMF revêt un sens particulier.  Vahatra se distingue en effet par une approche intégrée qui combine services financiers et accompagnement technique et social sur mesure à ses clients, qu’elle appelle ses partenaires. Possédant une grande expérience dans le financement de l’agriculture, elle a su développer une méthodologie de prêt adaptée aux besoins des producteurs et éleveurs qu’elle finance. En parallèle des services financiers, Vahatra offre des services techniques et des formations : par exemple pour les éleveurs de porcs financés (filière représentant 35% du portefeuille de l’IMF), Vahatra propose systématiquement une assistance technique sur les mesures permettant de limiter les risques de fièvre porcine. De plus, Vahatra a également mis en place un système de mutuelle de santé obligatoire pour l’ensemble de ses clients partenaires. Ce service a été développé suite au double constat qu’en cas d’accident, les frais médicaux engendrés représentaient souvent des montants trop importants pour les foyers ciblés par Vahatra : cela les menait à devoir faire un choix entre se soigner ou rembourser leur crédit. La mutuelle couvre l’ensemble du foyer du bénéficiaire pendant la durée du crédit. Enfin, forte de sa vision développementale, Vahatra propose également des services sociaux et environnementaux additionnels, notamment des sessions de sensibilisation à la santé infantile et maternelle ; de coaching à l’obtention de papiers d’identité ; et de fourniture de plants issus de pépinières gérées par l’IMF. Ces actions renforcent la résilience des communautés tout en promouvant des pratiques durables.

Des outils innovants pour mesurer l’impact et limiter les risques

L’innovation sociale est au cœur de l’approche de Vahatra. L’institution se distingue ainsi également par les outils d’analyse qu’elle utilise pour évaluer et suivre ses clients bénéficiaires. A l’heure où le secteur de la microfinance dédie un intérêt grandissant à la mesure de l’impact et des résultats (« outcome measurement »), Vahatra est déjà en avance sur la thématique. Depuis plusieurs années, elle utilise la « photo de famille », une grille d’analyse qui permet de mesurer la pauvreté multidimensionnelle de ses bénéficiaires à travers des critères tels que le logement, la nutrition ou l’accès à l’eau. Cet outil évalue également l’évolution des conditions de vie des clients sur plusieurs cycles de crédit.

En parallèle, l’IMF a développé des grilles d’analyse spécifiques pour chaque filière agricole qu’elle finance (porcine, riz, pommes de terre). Ces outils permettent aux agents de crédit d’identifier les risques propres à chaque exploitation et de proposer des solutions adaptées. Par exemple, pour les éleveurs de porcs, la grille évalue des éléments tels que la qualité de l’alimentation, des abris et l’accès aux soins vétérinaires.

Un modèle pour l’avenir

Face aux défis réglementaires et opérationnels, l’institutionnalisation de Vahatra marque un tournant stratégique. En séparant les activités de microfinance des volets sociaux et de santé, la nouvelle société anonyme gagne en efficacité tout en conservant sa mission sociale forte désormais portée par l’ONG.

Le partenariat entre la SIDI et Vahatra témoigne de l’impact que la finance solidaire peut avoir sur des communautés vulnérables. En alliant expertise technique et engagement humain, ce projet démontre qu’il est possible de concilier viabilité économique et impact social durable. Grâce à cette transformation, Vahatra est mieux armée pour répondre aux défis complexes de la pauvreté et du changement climatique, contribuant ainsi à bâtir un avenir plus prometteur pour les populations rurales de Madagascar.

Voyage SIDI en Tunisie, des solutions locales face aux défis globaux

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Plongée au cœur des initiatives qui transforment les défis économiques et sociaux du pays en opportunités concrètes.

Début novembre, un groupe d’épargnants et actionnaires solidaires de la SIDI s’est rendu en Tunisie pour découvrir de quelles façons leurs investissements prennent vie sur le terrain. Ce voyage leur a permis de rencontrer les partenaires locaux de la SIDI et de découvrir les projets soutenus, incarnant ainsi la chaine de solidarité financière qui unit épargnants ici, et micro-entrepreneurs ou petits producteurs là-bas.

La Tunisie fait face à des crises multiples : transition démocratique à l’arrêt, services publics dégradés, inflation galopante, chômage très élevé en particulier chez les jeunes, émigration d’ampleur vers l’Europe et le Canada, immigration illégale en provenance d’Afrique sub-saharienne etc. A ces défis politiques, économiques et sociaux, s’ajoute la question environnementale et en particulier la crise hydrique exacerbée par les sécheresses récurrentes. Dans ce contexte, les partenaires de la SIDI, qu’ils se situent dans les filières agricoles durables tels que Beni Ghreb et South Organic, ou dans le secteur de la microfinance comme Enda Tamweel, jouent un rôle crucial pour soutenir les communautés vulnérables dans leur développement économique et l’amélioration de leurs conditions de vie.

Enda Tamweel : la microfinance au service de l’émancipation

Enda Tamweel est devenue la première Institution de Microfinance (IMF) du pays : 472 000 clients pour un pays de 11 millions d’habitants. La SIDI en est partenaire depuis sa création en 2015, date à laquelle elle est entrée au capital de l’IMF. Enda Tamweel propose des petits prêts destinés à soutenir les micro-entrepreneurs et petits agriculteurs dans leurs activités économiques. Elle cible en priorité le secteur informel (59% de ses clients vivent en dessous du seuil de pauvreté), les femmes et les jeunes, et le secteur rural avec un soutien stratégique à l’agriculture. L’IMF est ainsi aujourd’hui le premier financeur de la petite agriculture tunisienne.

Lors de nos visites, nous avons pu échanger avec des bénéficiaires dont les parcours inspirants illustrent l’impact de cette organisation. Dans un quartier populaire de Tunis, nous avons rencontré Amina, commerçante et cliente d’Enda depuis des années. Amina en est à son 12e cycle de prêt avec Enda, ce qui lui a permis d’agrandir son activité, avoir un stock suffisant, et dès lors scolariser ses enfants et sécuriser son avenir. Dans un autre quartier, un atelier de couture soutenu par Enda depuis plus de 20 ans emploie aujourd’hui sept femmes, démontrant que la microfinance peut être un levier de développement durable à long terme. À Kairouan au centre du pays, un autre bénéficiaire nous a impressionnés par son petit élevage de vaches laitières. Ce projet, démarré avec l’achat d’une seule vache grâce à un microcrédit, a progressivement évolué pour compter sept vaches et une étable équipée. Avec l’appui continu de son conseiller spécialisé, il répond désormais aux normes strictes de la laiterie locale, qui collecte son lait.

De l’éleveur ayant débuté avec une vache à l’artisane qui confectionne des robes de soirée et emploie désormais sept couturières, ces initiatives témoignent de l’impact durable de la microfinance. Ce soutien va bien au-delà du financier. En effet, Enda propose à tous ses clients des formations gratuites et un accompagnement de proximité, garantissant d’une part une relation de confiance très forte entre agent de crédit et bénéficiaire, et d’autre part la pérennité des projets et une véritable inclusion sociale. Ces initiatives transforment non seulement des vies individuelles mais aussi des communautés entières.

South Organic et Beni Ghreb : l’innovation face à la crise de l’eau

Dans le sud de la Tunisie, la gestion de l’eau est un défi quotidien pour les agriculteurs et notamment les producteurs de dattes. Direction l’oasis d’Hazoua, à la frontière algérienne, où une famille de producteurs a créé et gère une petite entreprise de commercialisation et exportation de dattes Beni Ghreb. L’entreprise est adossée au Groupement pour le Développement de l’Agriculture en Biodynamie qui regroupe une centaine de producteurs de l’oasis. Les dattes produites sont de la variété Deglet Nour dont la qualité est excellente. Assister à la récolte des dattes sur la parcelle d’un des producteurs est un moment magique. Nous avons pu voir le système d’irrigation mis en place, par aspersion, qui permet d’économiser 70% de la consommation d’eau, et qui permet de faire pousser d’autres cultures entre les dattiers, notamment des arbustes fruitiers. Puis nous avons visité l’unité de conditionnement qui emploie une centaine de jeunes femmes du village. Beni Ghreb lutte pour maintenir son autonomie dans un contexte économique très fragile. L’émotion était palpable lorsque le fondateur a rappelé que, grâce à l’appui financier de la SIDI, et donc de ses actionnaires, la communauté avait surmonté des crises majeures comme la sécheresse, les infestations d’insectes, et surtout la crise du Covid qui avait stoppé les exportations. « Ce projet c’est la vie pour Hazoua ! » a-t-il insisté.

South Organic, autre PME de conditionnement et exportation de dattes partenaire de la SIDI, située à Kebili à une centaine de kilomètres plus à l’Est, s’attaque également à la problématique de l’eau avec des solutions innovantes. South Organic travaille avec 200 producteurs certifiés en bio, et emploie un peu plus de 500 salariés, majoritairement des femmes. Accompagnés par le directeur, la responsable du contrôle qualité, nous avons visité leur verger pilote Al Wahaat où l’ingénieure hydraulique en charge du projet nous a expliqué le système d’irrigation mis en place. Ce dispositif réduit drastiquement le gaspillage d’eau en ciblant les besoins exacts des cultures, en stockant l’eau, et en alternant les techniques d’irrigation selon les périodes de l’année. Avec cette gestion optimale de l’eau, les étages de culture sous les dattiers (légumineuses, arboriculture etc.) sont rétablis et peuvent assurer aux producteurs des revenus complémentaires tout en favorisant la biodiversité locale. Le verger pilote est ouvert à tous les agriculteurs de la région ; ils sont invités à visiter la parcelle et à s’approprier ces nouvelles techniques, amplifiant ainsi son impact à l’échelle locale.

Un message universel

Chaque étape de ce voyage a illustré la force d’une solidarité internationale concrète et efficace. Les projets rencontrés, qu’ils concernent la microfinance ou l’agriculture durable, incarnent les valeurs que défend la SIDI : persévérance, solidarité et respect de l’humain. Pour les participants, ce séjour a non seulement permis de voir l’impact de leurs investissements, mais aussi de nourrir leur engagement en faveur d’un développement plus juste et durable.